28 avril 2006

30 millions d'amis

"Chat" est le premier mot que j'ai prononcé. Je crois que d'habitude, les enfants disent "mama" ou "papa", "popo" etc. Et moi, il a fallu que je dise "chat", allez savoir... peut-être parce que c'est pas le plus facile à prononcer et qu'à 10 mois je me la pétais déjà, j'ai pas pu m'empêcher de faire ma maligne. Mais c'est sans doute aussi parce que j'avais une réelle fascination pour ces animaux. D'ailleurs, plus tard, quand un adulte m'a parlé des religions, des avatars hindous et de la philosophie bouddhiste, je me suis plu à croire que j'étais une réincarnation de chat, dans un mouvement inversé de métempsychose (car je ne pensais pas que les animaux et les plantes constituaient un règne inférieur à celui des Hommes), et que c'est pour ça que j'étais capable de leur parler avec les yeux. Ceux qui connaissent mon pragmatisme comprendront que j'ai moi aussi eu ma phase mystique, comme tout individu en pleine croissance. Il faudra sans doute que je revienne sur ma quête très personnelle de la spiritualité, c'est assez remarquable en termes de surdimensionnement de l'égo.

Mais ce n'est pas là que je voulais en venir. A 4 ans ou à peu près, avec mon copain Ian, de quelques mois mon aîné et ainsi légitimement qualifié pour m'entraîner dans sa vision de l'expérimentation des choses de la vie, nous avons mis le chat dans les toilettes, rabattu le couvercle et tiré la chasse d'eau. Je ne pourrai rien dire de plus sur cet épisode de cruauté enfantine, puisque je n'en ai pas le souvenir. Mes parents me l'ont raconté, et j'ose espérer qu'ils n'ont pas inventé ça, sinon c'est qu'ils sont franchement inquiétants. Il parait aussi qu'on me retrouvait parfois, tranquillement étendue, ou assise selon l'envie, sur un gros tas de coussins recouvrant tout le canapé, avec un air faussement sage et de la malice dans le regard, parce que je croyais être la seule à savoir que le chat essayait de respirer là-dessous. Généralement un miaulement plaintif achevait de me trahir. Ca non plus je ne m'en souviens pas. Comme quoi j'ai oublié quand j'étais trop méchante. Pour en finir avec cette triste période de ma vie, je tiens à préciser qu'aucun chat n'est mort (et je dirais heureusement, je serais peut-être totalement différente aujourd'hui dans le cas inverse). Celui des toilettes a réussi à ressortir sans passer par le tuyau ; celui ou plutôt ceux (... paraît que j'aurais été récidiviste sur ce coup-là) du canapé ont sans doute eu de la chance qu'un de mes parents passe par là, ou que dans ma grande mansuétude, je reste réceptive aux râles ultimes enfouis sous les coussins.

Et le plus étonnant dans tout ça, c'est que je m'entends très bien avec les chats. Les miens, ceux des autres, même ceux qui traînent dans la rue. Quand je vois un chat, je suis comme prise d'un élan attractif qui me pousse à essayer de l'apprivoiser, qu'il se laisse carresser un peu, ça en devient un peu niaiseux. J'ai pleuré quand j'ai su que Pongo ne reviendrai jamais à la maison. J'ai enterré Titus dans mon jardin quand il s'est fait percuter par une voiture devant chez moi (j'ai dû attendre le lendemain, car c'était le soir et il faisait trop noir, il était tout raide, et c'était un grand moment de souffrance pour le fossoyeur que j'étais devenue malgré moi). J'ai parlé pendant près d'une heure l'été dernier à la vieille chatte de la maison pour la convaincre qu'elle arrête de faire la gueule et qu'elle accepte de nouveau de se laisser approcher sans s'enfuir en courant.

Bref, j'adore les chats, depuis toujours, c'est con à dire, mais je me sens proche d'eux. Peut-être que sans le savoir je suis dans une entreprise perpétuelle de rachat de ma conduite auprès de l'espèce féline...

26 avril 2006

Le deuxième ?

Cette histoire de poule me conduit à chercher, parmi mes souvenirs d’enfance, quel pouvait bien être le deuxième. Et là je cale. Panne sèche. Impossible de remettre de l’ordre dans la chronologie des événements constructifs de ma mémoire. Il y a pourtant des odeurs, comme celle des protège-cahiers en plastique neufs, qui me rappelle immanquablement l’excitation de la rentrée des classes, celle, désormais ancrée dans le passé et évocatrice de souvenir pour bon nombre d'écoliers (et que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, comme dit l'autre), des polycopiés à l’alcool, que l’instituteur nous distribuait encore humides, si bien qu’on pouvait voir la couleur de l’encre virer au bleu. La bonne odeur de la confiture de mûres que j'étalais sur le beurre fondant du pain grillé encore chaud, cette confiture mise en pots par les bons soins de ma maman, issue d'une récolte tout à la fois joyeuse (tant de seaux remplis de petites baies noires!) et prudente (les ronces, les jambes griffés, les doigts violets de jus). L'odeur et le goût particuliers des premières cigarettes, qu'on ne sait pas encore fumer, mais qui nous ennivrent. Toutes ces sensations sont autant de bribes de mon enfance, mais ne constituent pas un événement-souvenir, au même titre que l'épisode de la poule.
J'ai bien mangé une guêpe, vers 4 ou 5 ans (encore une aventure animalière). Mais malheureusement, comme pour le piment, je ne m'en souviens pas (mémoire sélective sans doute, j'ai oublié tout ce qui pique très fort). La guêpe était vraisemblablement déjà morte, puisque je suis toujours en vie.

Pour rester dans le coin des bêtes, je me souviens bien avoir bâti des parcours du combattant pour escargots, avec feuilles de salade en guise de podium. J'adorais regarder les traces luisantes qu'ils laissaient, particulièrement sur les feuilles de figuier, parce qu'elles accrochent bien. Ce qui m'amusait le plus, c'était de les coller entre eux. D'autant que j'avais entendu dire que les esgargots étaient hermaphrodites, ce qui était plus pratique pour mon élevage. Ca fera peut-être prétentieux mais oui, je savais à 6 ans ce qu'était un hermaphrodite, de même que je savais déjà comment on faisait les bébés. Il fallait un papa, il mettait sa petite graine qu'il avait en haut de la cuisse dans le ventre de la maman et s'il faisait beau et pas trop sec, un bébé poussait dans le ventre de la maman. Donc les escargots étant tous à la fois des mamans et des papas potentiels, cela faisait bien plus de probabilités d'obtenir un bon cheptel.

Plus tard je me suis essayée à l'élevage de mouches. Un été chaud où je m'ennuyais ferme. Après quelques séries de réussite, une séance de dessins réalisés avec les petits pions colorés du super master mind, des plans d'élaboration logistique pour la boum que j'organiserais à la rentrée (je dessinais le plan de la configuration festive de ma cave tranformée en dance floor, je faisais la liste des invités, garçons d'un côté, filles de l'autre, la play-list de mes slows favoris... je me demande même si je n'allais pas jusqu'à la liste des carambars... ), j'avais remarqué que les mouches tournaient toutes mollement au centre du salon. Munie d'un pot de confiture vide, je les attrapais une par une, elles offraient peu de résistance. Peut-être parce que c'était des mouches hollandaises. Je faisais des petits trous dans le couvercle. Ensuite je les regardais se monter dessus. Ca m'amusait un peu, maintenant que je savais comment on faisait vraiment les bébés. Ca me fascinait un peu, car j'étais encore bien trop jeune pour me reproduire. C'est drôle quand j'y pense maintenant, car d'une certaine manière on dirait que je contribue toujours un peu à l'accouplement de la mouche. Sauf que je l'avais pas enfermée dans un bocal, mais dans une chambre, mais enfin passons, c'est là une autre histoire (et puis c'est un peu facile aussi... désolée).

Ce qui me conduit tout droit à la conclusion suivante : certains de mes souvenirs d'enfance semblent très liés aux animaux. Ce qui atteste bien que je suis une fille de la campagne. Mais j'ai aussi des souvenirs impliquant des animaux de salon. Prochain épisode, les maltraitances que j'ai infligées très jeune à mes compagnons à poil préférés (et pourtant je les aime vraiment ces bêtes là !) : les chats.

Pour celui à qui la vision de cette photo n'a certainement pas manqué de provoquer un haut-le-coeur, je m'excuse d'avance en pensant au moment où il ouvrira cette page.

20 avril 2006

La poule

Mon premier souvenir d'enfance, c'est une poule qui m'a mordu le doigt à travers le grillage qui séparait notre jardin de celui de la vieille voisine à barbe. Je veux bien admettre, maintenant, qu'elle ne m'avait pas réellement mordu le doigt et je crois que cette précision ne mérite pas plus d'explications, parce que tout le monde sait que les poules n'ont pas de dent. Mais à 3 ans à peine, je ne pouvais pas en être sûre. Ce qui était réel, en revanche, c'est que ça m'avait fait mal. Et que j'ai pleuré. Et que je suis restée un bon moment, là, le doigt blessé en l'air, dressé comme l'évidence que cette poule avait une dent contre moi. De l'autre côté du grillage, elle était dans le camp de l'ennemi. Et quand on mesure moins de 80 centimètres, une poule peut constituer un ennemi de taille.
Mais qu'allais-je donc chercher en glissant prudemment mon index entre les losanges de feraille, pour l'approcher de son curieux bec jaune ? C'est vrai que c'est intriguant, avec ces deux petits trous pour respirer... alors cet apendice était-il son nez ou bien sa bouche ? Je ne peux pas être certaine, aujourd'hui, que c'était là les questions qui me taraudaient au moment où je m'aventurais dangereusement vers cette prise de bec. Toujours est-il que la poule m'a mordue et que j'ai pleuré et que cette anecdote constitue mon premier souvenir.
Alors j'espère juste, si banale soit cette histoire, qu'il s'agit bien de mon souvenir. Car il est très probable qu'on m'ait rapporté plusieurs fois cet épisode de mon enfance. Comment savoir désormais s'il ne s'agit pas plutôt de ma première formulation d'un souvenir ? C'est certainement l'histoire que je raconte depuis le plus longtemps que je me souvienne lorsqu'il s'agit d'évoquer un premier souvenir. Sans doute qu'à 6 ans déjà, je la racontais. Si tout me paraît si précis aujourd'hui, la configuration du jardin, la couleur de la poule, le visage de la voisine, c'est peut-être parce que je me raconte cette histoire depuis plus de 20 ans.
Mais on a eu beau me relater l'anecdote du piment que j'ai croqué sur le marché au Maroc à 2 ans et demi et qui m'a fait hurler de douleur, je n'en ai aucune vision précise. Alors que je le raconte volontiers tout autant, dès qu'on aborde une conversation affreusement banale sur la nourriture épicée.
Alors cette poule pourrait bien être mon premier vrai souvenir.

Ah... si tu savais Marcel, ce que je te comprends !...

18 avril 2006

Retour à la normale

Toutes les bonnes choses ont une fin, dit-on volontiers, et les vacances sont pas les dernières dans cette catégorie. C'est pourquoi bon gré mal gré, il a bien fallu reprendre le chemin du travail ce matin. Et pour rompre la routine, ce n'était pas le chemin habituel, car j'ai eu l'immense chance (pour le maintien de la diversité de la vie travaillée), de redémarrer par une réunion toute la journée chez mon client préféré. 9h-18h. Pause déjeuner de 13h45 à 14h10. Bonne nouvelle : j'ai réussi à éviter la cantine. Une belle reprise en somme.

Alors c'était des vacances toutes simples. Un bon petit retour aux sources, une pratique régulière de la famille, de l'air pur et des plaisirs gustatifs, des flâneries en librairies, un peu d'océan à perte de vue, une course contre le chien en forêt, un bon livre auprès du feu chat ronronnant sur les genoux, une nouvelle coupe, des rires d'enfants, de bonnes nuits de sommeil, des journées à rien faire au soleil, de bons souvenirs en pagaille, du bon vin, des cadeaux à offrir et des mots doux à entendre... Et tout ça en excellente compagnie, toujours. Que du bonheur !

Et là, maintenant, même si le retour à Paris ne m'enchante pas vraiment, je me sens bien, juste parfaitement bien. Et j'avance vers je ne sais quel demain mais ça ne m'inquiète plus. Je crois que ce sera bien maintenant, ça ne pourra être que toujours mieux, je le sens au fond de moi, et je crois savoir d'où me vient cette confiance sereine. Alors merci, vraiment merci !

04 avril 2006

Un Américain à Paris

Ce week-end il y avait un américain dans mon lit. Ce n'était pas un hasard, si l'on considère que je lui prêtais mon appartement. Donc j'ai dormi plus au nord, dans un grand lit douillet où il fait bon dormir... ou ne pas dormir. Mais par solidarité, je me suis mise dans la peau d'un Américain à Paris. Et dimanche a été une grande et belle journée de promenades touristiques plus ou moins ensoleillées. Ah ! les petites rues de l'Ile Saint-Louis, les cheveux au vent, bras dessus bras dessous sur les vieux ponts, la croisière au fil de la Seine, avec une vue d'en bas sur la Tour Eiffel... Manger une crêpe au bord de l'eau sur un bout de terrasse pavée... Découvrir un jardin des plantes à moitié fermé et totalement en travaux , sans ménagerie mais avec le chant des oiseaux, et quelques "arbres historiques" : le Cèdre du Liban et l'Erable de Crête, tous deux vieux de 300 ans, et puis le formidable "Chêne à gros fruits", du Texas, planté en 1811. Je me demande ce qui me prend de me souvenir de trucs pareils. J'ai une mémoire pour les détails insignifiants ou les très vieux événements, les noms des gens que je ne connais pas, les vêtements portés pour une occasion sans intérêt... J'ai en revanche tout oublié de mon programme de deuxième année de classe préparatoire (ce qui n'est pas si étonnant au fond)... Il faudra sans doute que je pense à coucher sur le clavier mes très nombreux souvenirs d'enfance, avant que je ne les oublie.
Fin de la parenthèse. Le nouveau quartier du 13° arrondissement, construit autour de la grande bibliothèque, avec ses vastes façades-miroirs et ses avenues désertes, où le vent s'engouffre en sifflant, nous a conduit dans une autre dimension de Paris. Ce qui s'annonçait fort à propos puisque nous allions profiter de la proximité du MK2 pour tester les fauteuils double (un argument marketing de poids) en regardant "Renaissance". Une vraie prouesse technique. Plein les mirettes, mais souvent dur pour les oreilles... dommage. Quoi qu'il en soit, après cette vision géniale d'un Paris de 2054, c'était drôle de sortir par les sas futuristes du cinéma, d'arpenter l'avenue de France, de prendre la ligne 14 du métro qui se conduit toute seule... avant de retrouver ce bon vieux 18°, finalement, peut-être le plus beau des paris.